Dr. Marième Pollèle Ndiaye, Enseignant-chercheur, Université Gaston Berger, Saint-LouisUFR Civilisations, Religions, Arts et Communication/ Section « Communication »marieme-pollele.ndiaye@ugb.edu.sn
J’ai découvert l’initiative de l’institut Panos Afrique de
l’Ouest par le biais d’un de mes collègues. Il s’agit de soutenir « les
médias et des journalistes africains qui produisent sur la question des changements
climatiques et l’avènement » de la vingt-unième conférence des Nations
unies sur les changements climatiques (COP21). La démarche m’a séduite
principalement parce qu’elle met en exergue un point important dans lutte
contre le changement climatique en Afrique : la question de la
communication.
Informer à l’occasion de la COP 21, les populations
africaines en produisant des contenus riches et variés en sollicitant des
expertises, est louable et très pertinent surtout avec le déficit
informationnel autour de la problématique climatique. Par ailleurs, une
information aussi fondamentale soit-elle, si elle n’est pas articulée avec
une bonne communication, elle n’aura pas les effets escomptés.
Je me suis intéressée, tout d’abord dans le cadre de mon
mémoire puis à l’occasion de ma thèse aux questions climatiques. Précisément,
j’ai étudié les logiques communicationnelles à l’œuvre dans la mise en place
d’une mobilisation locale à l’échelle de collectivités locales françaises à
savoir le Conseil général de la Gironde et la Communauté urbaine de Bordeaux.
L’objectif affiché, par ces instances, était d’encourager les populations à
adopter des pratiques écologiques quotidiennes (économies d’énergie,
privilégier les transports en commun, etc.). Je me suis alors rendue compte que
l’inquiétude sur les impacts potentiels du désordre climatique est
contrebalancée par une attitude amorphe à l’égard de ce phénomène. Autrement
dit, le public est conscient des enjeux climatiques et « pourtant, les
comportements ne suivent pas, ne changent pas » (Bernard, 2010, p 80).
Un paradoxe, car plus les connaissances scientifiques sur la responsabilité
humaine dans le dérèglement climatique se précisent, plus le public semble
manquer à l’appel. Ungar (2000) parle de « knowledge-Ignorance
Paradox » ou « Paradoxe de l’Ignorance du Savoir » (ma traduction)
pour expliquer ce phénomène. L’auteure avance que la prolifération rapide des
innovations scientifiques et techniques a entraîné une augmentation de
l’ignorance au sein de la société. Chaque nouvelle découverte scientifique
ouvre de nouvelles perspectives et rend obsolète les connaissances initialement
acquises. Au final, l’instabilité des connaissances devenant la stabilité, les
gens peuvent adopter une posture dubitative face à l’annonce de certains
événements (disparition d’îles), partant du constat qu’une part d’incertitude
subsiste toujours.
Par ailleurs, à la suite de Ungar, j’ajouterai que
notamment dans le contexte africain, les perturbations climatiques sont souvent
présentées comme la traduction d’une justice divine face à une société en perte
de repères. De fait, le terreau culturel se positionne comme un paramètre
incontournable à intégrer pour déployer une communication efficace.
Concernant le cas sénégalais en particulier, de mes
observations, malgré la récurrence de catastrophes naturelles avec des
conséquences dramatiques, les réactions des publics tardent à se manifester ou
peut-être sont-elles inaudibles, invisibles ?. Je pense aux villes
côtières comme Saint-Louis sujette à une avancée des eaux. Ainsi une île a été
rayée de la carte, il s’agit de Doune Baba Dièye alors que trente-six autres
sont en sursis, menacées de disparition (Fall, 2015). Le pays n’échappera pas à
la question des « délocalisés » climatiques. Pourtant, sur le
terrain, la vie suit son court malgré cette épée de Damoclès.
De
façon paradoxale, les autorités semblent aussi amorphes face à cette situation.
La multiplication de séminaires, conférences ou autres événements dédiés à la
lutte climatique semblent être principalement motivée par une actualité propice
ou opportuniste. En outre, le sujet est toujours l’apanage de personnes
averties quand l’attention du grand public reste focalisée sur des
préoccupations quotidiennes. Comment analyser ce phénomène ?
A mon avis, la question de la temporalité est un critère à
considérer alors qu’elle est souvent absente de l’agenda des politiques. A ce propos, comme l’observent
Fisher, O’Connor et Bord (1998, p. 79) : « It is one
thing to express general concern over an issue but quite another to have fears
relating to particular dimensions of that issue ». En d’autres termes, le fait d’admettre son inquiétude au sujet d’un
problème spécifique, ne veut pas forcément dire qu’il nous occupe. Sandman
(2009), spécialiste américain de la communication des risques, distingue ainsi
« worry agenda » (agenda de l’inquiétude) et « action
agenda » (agenda de l’action) car « nobody has time and
energy to deal with every issue that comes along. We have to choose »[1].
À l’heure où l’on sait que les exigences du temps écologique diffèrent de
celles du temps humain, il y a une déconnexion entre l’adhésion au discours sur
la crise climatique et les actions réalisées pour faire face.
Ce qui précède m’autorise, une fois de plus, à marteler
l’importance de la communication dans la lutte climatique. Elle constitue le
principal défi à relever pour sortir de l’inconscience écologique et encourager
une mobilisation collective. Une bonne communication, c’est celle qui prend en
compte ses publics cibles, qui s’attèle à bien les cerner afin de diffuser un
message, une information lisible et visible. Une bonne communication ne fait
pas l’économie de la dimension temporelle. Une bonne communication est celle
qui est pédagogique, innovante, stimulante.
Pour clôturer ce billet, je dirai qu’il est du ressort des
organisations (collectivités locales, entreprises, institutions publiques,
associations, etc.) et des populations sénégalaises de prendre leur avenir en
main, tout le monde à une partition à jouer dans la lutte climatique comme dans
la légende du colibri[2].
De même, théoriser ce phénomène est aussi un défi non négligeable pour les
chercheurs en sciences de l’information et de la communication comme je le
soulignai dans de précédents travaux : « les problématiques
actuelles à l’instar du changement climatique constituent des terrains d’études
passionnants pour féconder notre champ théorique. Attendu qu’il existe un
consensus sur l’importance de la communication dans la lutte climatique, quoi
de plus légitime pour les chercheurs de notre courant de prendre pour objet ces
problématiques. Dans le cas contraire,nous laissons la voie libre à d’autres
disciplines telles la psychologie[3]qui
s’approprient de plus en plus les problématiques communicationnelles sans
toujours mentionner leur filiation avec le courant des communications
organisationnelles. Nous risquerions alors pour le coup d’y perdre notre
identité ».
Références
BERNARD, F. (2010). Pratiques et
problématiques de recherche et communication environnementale : explorer de
nouvelles perspectives. Communication &organisation, 37,
79-92.
BORD, R. J.,
FISHER, A., & O’CONNOR, R. E. (1998). Public perceptions of global warming:
United States and international perspectives. ClimateResearch, 11, 75 84. Repéré le 10/12/11 à
http://www.climateaccess.org/sites/default/files/Bord_Public%20Perceptions.pdf
FALL, E. F. (2015) « Erosion Côtière
: Saint-Louis et Gorée toujours menacées », repéré le 6/12/15 à http://cop21-flammedafrique.blogspot.sn/2015/11/erosion-cotiere-saint-louis-et-goree.html.
NDIAYE, Marième Pollèle. « Quelques pistes de
réflexion pour penser les recherches en communication organisationnelle à
l’heure de l’injonction écologique». Colloque « Le champ des communications
organisationnelles. Perspectives théoriques et pratiques croisées du Nord au
Sud », 5-7 juin 2013 à Agadir (Maroc).
NDIAYE,
M. P. (2014). La communication intercommunale sur le changement climatique:
entre stratégies et paradoxes. L'exemple de la Communauté urbaine de Bordeaux
(CUB). (Thèse en sciences de l'information et de la communication,
Université Michel de Montaigne, Pessac). Repéré le 7/12/15 à https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01141491/document.
SANDMAN, P. (2009). Climate Change Risk
Communication: The Problem of Psychological Denial. Repéré
le 11/02/11à http://www.psandman.com/col/climate.htm.
UNGAR, S. (2000). Why
Climate Change is Not in the Air : Popular Culture and the Whirlwind Effect.Communicationprésentée
Climate change communication,Ontario, Canada. Repéré le
12/12/10 à http://environment.uwaterloo.ca/research/climateconference/A2.pdf.
[1]« Personne n’a le temps, ni l’énergie d’affronter tous les
problèmes qui se présentent au quotidien, un choix est donc nécessaire »
(ma traduction).
[2] « Un jour, dit la légende amérindienne, il y eut un immense
incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés et atterrés observaient,
impuissants, le désastre. Seul le petit colibri s’active en allant chercher
quelques gouttes d’eau avec son bec pour le jeter sur le feu. Au bout d’un
moment, le tatou agacé par ses agissements dérisoires, lui dit : -Colibri
! Tu n’es pas un peu fou ? Tu crois que c’est avec ces gouttes d’eau que
tu vas éteindre le feu ? –Je le sais, répond le colibri, mais je fais ma
part… » (http://etat-du-monde-etat-d-etre.net/de-soi/responsabilite-personnelle/agir-a-son-echelle,
consulté le 23/01/12). La morale de l’histoire peut se résumer ainsi :
chacun à son niveau peut apporter une pierre à l’édifice en participant
notamment à la sauvegarde de la Planète.
[3]Dans le cadre de notre recherche doctorale, nous avons remarqué qu’il y
a pléthore d’articles, de rapports et de manuels traitant des problématiques de
la communication sur le changement climatique étaient le fait de chercheurs en
psychologie. De plus, l’on voit apparaître un nouveau courant intitulé «
psychologie de la communication », laquelle concurrence clairement le champ des
communications organisationnelles.
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