mercredi 9 décembre 2015

« Les voix des Africains sont inaudibles », Makaila Nguébla, journaliste-bloggeur tchadien, réfugié politique en France


Qu’est-ce qui explique votre présence à la COP21 ?

En tant qu’africain vivant en France, j’ai observé depuis un certain temps que le continent africain est victime d’une pollution massive surtout poussée par les grandes puissances étrangères, notamment les Etats Unis, la France, l’Inde qui ont complètement déréglé le climat. Il était pour moi urgent de participer, d’observer ce qui est en train de se passer et de voir comment l’accord contraignant souhaité de tous les pays africains sera traduit en acte. 

On a l’impression qu’il y a une volonté effectivement des Africains de s’exprimer, parce que toutes les COP qui sont passés n’ont pas résolu les attentes des Africains. Cette fois-ci les Africains ne sont pas en ordre dispersés mais en harmonie pour se faire entendre et imposer leur voix. Je pense que la communauté internationale doit tenir compte de la volonté des pays africains. Quand vous voyez la situation au Lac Tchad, elle est alarmante.


Parlez-nous un peu du Lac Tchad

Cela fait pratiquement plusieurs années que le Lac Tchad est amoindri. Ce lac qui avait une superficie de 15000 Km2 en est réduit à 2000. C’est catastrophique parce que ce lac nourrissait le Nigéria, le Cameroun, le Tchad et le Niger. Aujourd’hui les populations autour du lac ont été obligées de se déplacer à l’intérieur du Tchad, du Niger ou du Niger. Cela a créé une situation de chômage pour les jeunes, une situation climatique extrêmement dangereuse, une situation sécuritaire. 

Boko Haram a réussi à recruter beaucoup de jeunes. Je pense que la communauté internationale n’a pas mesuré la gravité de la situation. Nous avons alerté sur l’assèchement du lac Tchad, nous avons également alerté sur la détérioration de tout ce qui entoure lelac Tchad. Les gens n’en n’ont pas tenu compte. Je pense qu’aujourd’hui c’est l’unique occasion pour la Commission du bassin pour le bassin lac Tchad CBLT et pour les Tchadiens eux-mêmes, d’imposer un ordre à la communauté internationale au cours de ces assises.

Les intentions sont en deçà des cent milliards demandés pour alimenter le fonds vert. Peut-on incriminer le leadership africain ? 

Le leadership africain a eu de faille depuis la disparition de Nelson Mandela. Depuis cette disparition, on a remarqué que l’Afrique n’est pas écoutée. On n’a pas réussi à voir émerger sur le continent africain un homme de l’envergure de Mandela pour faire raisonner la communauté internationale et l’Occident surtout, qui a imposé aux Africains un ordre inéquitable, un ordre inique qui ne respecte pas le souhait des Africains.

Et aujourd’hui il est temps que l’Union africaine prenne ses responsabilités d’imposer à ses partenaires notamment occidentaux, sa vision, ses ambitions pour le continent. On a l’impression qu’à chaque fois que les Africains viennent à des sommets du genre, leurs voix sont inaudibles. Que la COP21 puisse permettre aux Africains, puisse permettre à la communauté internationale de mettre les questions africaines, au cœur des revendications, et même des agendas internationaux.

 Sans cela, je pense que l’Afrique risquerait de disparaître, et ce n’est pas à notre profit. Les plus grands pollueurs de ce monde sont les puissances occidentales et ce sont ces mêmes puissances qui jouent à un double-jeu et on ne comprend pas leur position par rapport à l’Afrique et ça, c’est inquiétant.

Avez-vous un message particulier ?

Bien sûr. Le message particulier c’est plus de fermeté par rapport à la question liée au changement climatique dans le monde. D’un côté l’Afrique risquerait de devenir le dépotoir de tous les déchets du monde. Nous, nous avons besoin de préserver nos forêts, nos richesses naturelles et de préserver la jeunesse africaine utile. 

Aujourd’hui tous les bateaux convergent de l’Occident vers la Mauritanie, le Sénégal, vers les pays africains où on peut trouver du poisson ? Or, aujourd’hui, le poisson se fait rare en Afrique, ce qui expose les populations africaines à la sécheresse, à toutes les précarités. C’est aussi l’origine de la migration. Les Africains sont confrontés à une situation de précarité telle qu’ils rêvent de venir en Europe et ils prennent la voie la plus dangereuse, la migration suicidaire. 

Et ça, c’est en lien avec les changements climatiques. Les Européens doivent aussi tenir compte de cette situation parce que ce sont eux qui  en sont à l’origine. Ce sont eux qui sont à l’origine de  l’instabilité politique sur le continent africain et c’est tout ça qui pousse les jeunes africains à partir. Ils rêvent d’un eldorado européen et une fois sur place, ils sont confrontés à des situations extrêmement délicates. C’est aussi la responsabilité occidentale.

Que dites-vous de la responsabilité des Africains.

Il y a aussi une responsabilité interne. C’est la question gestion de nos ressources, la répartition équitable des biens, des richesses nationales au profit de toutes les composantes nationales. Or a l’impression que les dirigeants africains utilisent les biens pour leur propre compte, pour le compte de l’Afrique au détriment de la masse. Ce qui impute leur responsabilité endogène sur la mauvaise  gouvernance politique, économique, sociale.

 La responsabilité est certes partagée mais les Africains doivent eux-mêmes, démocratiser leur société et faire en sorte que les Africains puissent rester chez eux et travailler dignement, sans pour autant tendre la main à l’Occident.   On a suffisamment de ressources en Afrique et les africains devraient faire en sorte que  l’ordre ne vienne pas de Bruxelles, Paris ou New-York. Il faudrait que nous-mêmes fédérions nos forces pour faire en sorte qu’il y ait l’alternance démocratique et que le nombre de mandats soit limités.

Ça, c’est un facteur important. Que la démocratie soit effective et que l’alternance se fasse de façon apaisée. On a l’impression que rares sont les pays africains à accepter l’alternance. Et c’est là qu’on dit quelque part que l’Europe ne joue pas franc-jeu  avec les Africains. Ici en Europe par exemple, on limite les mandats à deux. Mais quand il s’agit de l’Afrique, la France ferme les yeux sur les réformes constitutionnelles.

 Elle a fermé les yeux sur le Burkina-Faso et il a fallu que les Burkinabè se réveillent. Elle ferme les yeux aujourd’hui sur le Congo et le Rwanda.  Les partenaires occidentaux doivent jouer franc-jeu avec nous. S’ils veulent aider l’Afrique, ça doit être avec plus de fermeté. Il y a aussi notre responsabilité de faire en sorte que nous limitions les mandats présidentiels et que nos richesses soient réparties équitablement.

Quand retourneriez-vous au Tchad ?

Ça fait pratiquement quatorze ans que je vis à l’étranger après avoir été expulsé du Sénégal vers la Guinée/Conakry. J’ai fait sept ans en Tunisie, sept ans au Sénégal et ça fait deux ans que je vis en France qui m’a accordé l’asile politique. Suite à une forte mobilisation des ONG, aussi bien Reporters Sans frontières, des hommes politiques français et africains, j’ai obtenu un statut de réfugié politique et je vis en France.

 Je continue à animer mon blog sur le Tchad et sur l’Afrique en lien avec la démocratie et les droits de l’homme, et les questions de liberté. Malheureusement la France continue de soutenir le président tchadien, Idriss Déby. Je me suis retrouvé dans un piège des relations internationales entre le Tchad et la France.  Du point de vue des français, Idriss Déby est un mal nécessaire dans la lutte contre le terrorisme, or nous, nous disons le contraire aux français. La lutte contre le terrorisme est une chose, le processus démocratique sur le continent en est une autre. 

A Paris ils pensent qu’on a besoin d’Idriss Déby pour la stabilité de la sous-région, or pour l’opposition tchadienne et les voix indépendantes que nous sommes, le processus démocratique enclenché depuis 1990 doit être achevé et séparé de la lutte contre le terrorisme. Il faut nous donner les moyens. Il faut qu’à l’échelle continentale il y ait une force africaine capable de lutter contre Boko Haram, contre les groupes terroristes djihadistes qui se trouvent au nord du Mali ou en Lybie. 

Or, ce n’est pas la vision des occidentaux. Leur vison, c’est de maintenir quelque pouvoir africain sur place en isolant les voix démocratiques dans les pays. Je pense que c’est  une politique du deux poids, deux mesures, une politique très ambivalente. En tant qu’africain vivant en France, nous allons essayer d’imposer aux occidentaux nos points de vue pour que les choses changent, parce que nous ne sommes pas appelés à rester éternellement en Occident. 

Nous sommes appelés à vivre et à servir dans nos pays pour faire émerger le continent africain avec toute la dignité qu’il faut.  Me concernant, l’exil dépendra du changement politique dans mon pays, également des forces démocratiques et de la politique de la France au Tchad et en Afrique.


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