Qu’est-ce qui explique votre présence à la COP21 ?
En tant qu’africain vivant en
France, j’ai observé depuis un certain temps que le continent africain est
victime d’une pollution massive surtout poussée par les grandes puissances
étrangères, notamment les Etats Unis, la France, l’Inde qui ont complètement
déréglé le climat. Il était pour moi urgent de participer, d’observer ce qui
est en train de se passer et de voir comment l’accord contraignant souhaité de
tous les pays africains sera traduit en acte.
On a l’impression qu’il y a une volonté
effectivement des Africains de s’exprimer, parce que toutes les COP qui sont
passés n’ont pas résolu les attentes des Africains. Cette fois-ci les Africains
ne sont pas en ordre dispersés mais en harmonie pour se faire entendre et
imposer leur voix. Je pense que la communauté internationale doit tenir compte
de la volonté des pays africains. Quand vous voyez la situation au Lac Tchad,
elle est alarmante.
Parlez-nous un peu du Lac Tchad
Cela fait pratiquement plusieurs années que le Lac
Tchad est amoindri. Ce lac qui avait une superficie de 15000 Km2 en
est réduit à 2000. C’est catastrophique parce que ce lac nourrissait le
Nigéria, le Cameroun, le Tchad et le Niger. Aujourd’hui les populations autour
du lac ont été obligées de se déplacer à l’intérieur du Tchad, du Niger ou du
Niger. Cela a créé une situation de chômage pour les jeunes, une situation
climatique extrêmement dangereuse, une situation sécuritaire.
Boko Haram a
réussi à recruter beaucoup de jeunes. Je pense que la communauté internationale
n’a pas mesuré la gravité de la situation. Nous avons alerté sur l’assèchement
du lac Tchad, nous avons également alerté sur la détérioration de tout ce qui
entoure lelac Tchad. Les gens n’en n’ont pas tenu compte. Je pense
qu’aujourd’hui c’est l’unique occasion pour la Commission du bassin pour le
bassin lac Tchad CBLT et pour les Tchadiens eux-mêmes, d’imposer un ordre à la
communauté internationale au cours de ces assises.
Les intentions sont en deçà des cent milliards demandés pour alimenter le
fonds vert. Peut-on incriminer le leadership africain ?
Le leadership africain a eu de
faille depuis la disparition de Nelson Mandela. Depuis cette disparition, on a
remarqué que l’Afrique n’est pas écoutée. On n’a pas réussi à voir émerger sur
le continent africain un homme de l’envergure de Mandela pour faire raisonner
la communauté internationale et l’Occident surtout, qui a imposé aux Africains
un ordre inéquitable, un ordre inique qui ne respecte pas le souhait des
Africains.
Et aujourd’hui il est temps que l’Union africaine prenne ses
responsabilités d’imposer à ses partenaires notamment occidentaux, sa vision,
ses ambitions pour le continent. On a l’impression qu’à chaque fois que les
Africains viennent à des sommets du genre, leurs voix sont inaudibles. Que la
COP21 puisse permettre aux Africains, puisse permettre à la communauté
internationale de mettre les questions africaines, au cœur des revendications,
et même des agendas internationaux.
Sans cela, je pense que l’Afrique
risquerait de disparaître, et ce n’est pas à notre profit. Les plus grands
pollueurs de ce monde sont les puissances occidentales et ce sont ces mêmes
puissances qui jouent à un double-jeu et on ne comprend pas leur position par
rapport à l’Afrique et ça, c’est inquiétant.
Avez-vous un message particulier ?
Bien sûr. Le message particulier
c’est plus de fermeté par rapport à la question liée au changement climatique
dans le monde. D’un côté l’Afrique risquerait de devenir le dépotoir de tous
les déchets du monde. Nous, nous avons besoin de préserver nos forêts, nos
richesses naturelles et de préserver la jeunesse africaine utile.
Aujourd’hui
tous les bateaux convergent de l’Occident vers la Mauritanie, le Sénégal, vers
les pays africains où on peut trouver du poisson ? Or, aujourd’hui, le
poisson se fait rare en Afrique, ce qui expose les populations africaines à la
sécheresse, à toutes les précarités. C’est aussi l’origine de la migration. Les
Africains sont confrontés à une situation de précarité telle qu’ils rêvent de
venir en Europe et ils prennent la voie la plus dangereuse, la migration
suicidaire.
Et ça, c’est en lien avec les changements climatiques. Les
Européens doivent aussi tenir compte de cette situation parce que ce sont eux
qui en sont à l’origine. Ce sont eux qui
sont à l’origine de l’instabilité
politique sur le continent africain et c’est tout ça qui pousse les jeunes
africains à partir. Ils rêvent d’un eldorado européen et une fois sur place,
ils sont confrontés à des situations extrêmement délicates. C’est aussi la
responsabilité occidentale.
Que dites-vous de la responsabilité des Africains.
Il y a aussi une responsabilité
interne. C’est la question gestion de nos ressources, la répartition équitable
des biens, des richesses nationales au profit de toutes les composantes
nationales. Or a l’impression que les dirigeants africains utilisent les biens
pour leur propre compte, pour le compte de l’Afrique au détriment de la masse.
Ce qui impute leur responsabilité endogène sur la mauvaise gouvernance politique, économique, sociale.
La responsabilité est certes partagée mais les Africains doivent eux-mêmes,
démocratiser leur société et faire en sorte que les Africains puissent rester
chez eux et travailler dignement, sans pour autant tendre la main à
l’Occident. On a suffisamment de
ressources en Afrique et les africains devraient faire en sorte que l’ordre ne vienne pas de Bruxelles, Paris ou
New-York. Il faudrait que nous-mêmes fédérions nos forces pour faire en sorte
qu’il y ait l’alternance démocratique et que le nombre de mandats soit limités.
Ça, c’est un facteur important. Que la démocratie soit effective et que
l’alternance se fasse de façon apaisée. On a l’impression que rares sont les
pays africains à accepter l’alternance. Et c’est là qu’on dit quelque part que
l’Europe ne joue pas franc-jeu avec les
Africains. Ici en Europe par exemple, on limite les mandats à deux. Mais quand
il s’agit de l’Afrique, la France ferme les yeux sur les réformes constitutionnelles.
Elle a fermé les yeux sur le Burkina-Faso et il a fallu que les Burkinabè se
réveillent. Elle ferme les yeux aujourd’hui sur le Congo et le Rwanda. Les partenaires occidentaux doivent jouer
franc-jeu avec nous. S’ils veulent aider l’Afrique, ça doit être avec plus de
fermeté. Il y a aussi notre responsabilité de faire en sorte que nous limitions
les mandats présidentiels et que nos richesses soient réparties équitablement.
Quand retourneriez-vous au Tchad ?
Ça fait pratiquement quatorze ans
que je vis à l’étranger après avoir été expulsé du Sénégal vers la
Guinée/Conakry. J’ai fait sept ans en Tunisie, sept ans au Sénégal et ça fait
deux ans que je vis en France qui m’a accordé l’asile politique. Suite à une
forte mobilisation des ONG, aussi bien Reporters Sans frontières, des hommes
politiques français et africains, j’ai obtenu un statut de réfugié politique et
je vis en France.
Je continue à animer mon blog sur le Tchad et sur l’Afrique
en lien avec la démocratie et les droits de l’homme, et les questions de liberté. Malheureusement
la France continue de soutenir le président tchadien, Idriss Déby. Je me suis
retrouvé dans un piège des relations internationales entre le Tchad et la
France. Du point de vue des français,
Idriss Déby est un mal nécessaire dans la lutte contre le terrorisme, or nous,
nous disons le contraire aux français. La lutte contre le terrorisme est une
chose, le processus démocratique sur le continent en est une autre.
A Paris ils
pensent qu’on a besoin d’Idriss Déby pour la stabilité de la sous-région, or pour
l’opposition tchadienne et les voix indépendantes que nous sommes, le processus
démocratique enclenché depuis 1990 doit être achevé et séparé de la lutte
contre le terrorisme. Il faut nous donner les moyens. Il faut qu’à l’échelle
continentale il y ait une force africaine capable de lutter contre Boko Haram,
contre les groupes terroristes djihadistes qui se trouvent au nord du Mali ou
en Lybie.
Or, ce n’est pas la vision des occidentaux. Leur vison, c’est de
maintenir quelque pouvoir africain sur place en isolant les voix démocratiques
dans les pays. Je pense que c’est une
politique du deux poids, deux mesures, une politique très ambivalente. En tant
qu’africain vivant en France, nous allons essayer d’imposer aux occidentaux nos
points de vue pour que les choses changent, parce que nous ne sommes pas appelés
à rester éternellement en Occident.
Nous sommes appelés à vivre et à servir dans
nos pays pour faire émerger le continent africain avec toute la dignité qu’il
faut. Me concernant, l’exil dépendra du changement
politique dans mon pays, également des forces démocratiques et de la politique
de la France au Tchad et en Afrique.
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