jeudi 10 décembre 2015

EDITORIAL: Montreuil ou la leçon de pragmatisme des savoirs endogènes sur le climat

Dans cette région naturelle du Guidimakha, terroir d’histoires plurielles et zone de confluence sur l’axe Bakel-Kayes, à cheval sur les trois pays que sont le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, les experts développeurs vont à l'école... des populations locales. On pourrait, en effet, parler ici, sans tomber dans la simple clause de style, de leçons de pragmatisme des savoirs et modèles locaux d'adaptation tellement est manifeste l’intérêt que présente au plan heuristique et de la recherche-action la région appelée aussi le « Gadiaga - Boundou ».

 Du fait de la crise écologique multiforme consécutive aux impacts de la variabilité climatique sur l’environnement qui y sévit, l’intérêt pour cette zone, des chercheurs travaillant sur les changements climatiques, est d’autant plus prégnant encore que les populations qui y vivent et qui sont affectées par cette crise s'investissent, en vue de s'adapter et de développer des stratégies propres leur permettant de faire face.Des récits de vie du genre et des expériences cognitives de collectivités comme celles de Guidimakha qui en renseignent sur les ataviques leçons de vie de sociétés et des cultures venues des antipodes, il en a beaucoup été question à Montreuil depuis le démarrage du Sommet citoyen mondial sur le climat ,vendredi dernier, le jour  même où les experts et négociateurs des Etats parties remettaient leur projet de texte aux ministres de leurs pays respectifs qui ont pris le relai, depuis lundi, des négociations internationales qui se tiennent au Bourget.

Capitale du monde des idées alternatives sur la question du climat et des innovations les plus originales qui visent à donner à l’humanité déshéritée les moyens de faire face aux conséquences des dérèglements qu’engendrent la crise climatique, la ville cosmopolite de Montreuil, a été et sera encore le temps que les rideaux tombent sur la Conférence des nations unies sur le climat de  Paris, l’épicentre d’expériences plurielles et aussi riches portées par des représentants de communautés diverses venues des quatre coins du globe.

 Avec  ces milliers de militants altermondialistes et autres acteurs de la société civile internationale qui s’y sont donnés rendez-vous depuis le début du weekend end dernier, Montreuil, ville française la plus africaine à la lisière du Paris intra-muros est devenue le village des alternatives le temps de la COP 21. Pour cette raison et pour d’autres Montreuil est et sera encore là tant qu’on parlera de climat là comme pour nous rappeler qu’il est une leçon  qu’au-delà de l’effervescence bigarrée des échanges et manifestations nombreuses on pourrait apprendre du volontarisme ayant marqué les multiples mobilisations des mouvements altermondialiste. Cette leçon c'est celle-là : Il y a, comme pour mieux faire à cette urgence née des problèmes du changement climatique de ne plus continuer à regarder de haut ces communautés. Mais encore et  surtout de cesser donc de considérer avec une suspecte condescendance les capacités intrinsèques des communautés défavorisées du globe à s’adapter aux aléas du dérèglement climatique.

 En plus d’avoir administré la preuve qu’il est possible de créer autrement  les conditions d'une appropriation collective plus ample et plus responsable de la problématique  "Climat", Montreuil aura aussi réussi à montrer que  c’est faire œuvre de salubrité publique que de communiquer sur une expérience probante qui, dans son domaine, fait surtout recette. Mais, Montreuil aura surtout montré qu’apprendre de l’archéologie des savoirs endogènes sur le climat  l’est davantage encore dans le contexte de nos pays africains . Lesquels sont des pays caractérisés, comme le montrent bien les études réalisées sur cette région du globe par le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC-IPPC), par leur extrême vulnérabilité économique et social. Mais également des pays aussi qui assistent chaque jour, eu égard à leur très faible capacité d'adaptation aux impacts négatifs des changements climatiques, à l'accroissement de leur vulnérabilité environnementale, du fait combiné des effets néfastes de ces impacts à d'autres liés à la désertification, à l'appauvrissement des sols, ou encore à la perte de la biodiversité.

 Dans cette zone Guidimakha et du fait de la raréfaction des pluies, la plupart des sols, qui jadis cultivables, ne sont plus aptes aux cultures. “Nous cultivons dans les endroits où jadis nous pêchions”, disent les paysans eux-mêmes. Exposés à la vulnérabilité et à l’insécurité alimentaire, ils ne restent pas cependant sans apporter une réponse aux affres des changements du climat.
  Cette zone du Guidimakha des origines dont les filles et fils sont nombreux à avoir, depuis des lustres , élu domicile à Montreuil est en passe de devenir un véritable laboratoire d'expériences innovantes. 

Un peu comme pour ce qui est fait dans les collectivités locales de Notto Diobass,  Fandène et Taiba Ndiaye dans la région de Thiès par l’ancien projet Infoclim du Centre de suivi écologique (Cse) du Sénégal  qui, dans un contexte marqué par des perturbations climatiques, a cherché à mettre en place un observatoire sur les changements climatiques sous forme de plateforme participative intégrant l’information scientifique et les savoirs locaux pour soutenir les capacités locales d’adaptation aux changements climatiques des populations. Des expériences pilotes ont, en effet,   de part et d’autre été conduites sous l'égide de deux grands projets initiés par l’Ong Lead Africa qui accompagne les communautés dans cette quête de réponses appropriées aux effets des changements du climat.

 Comme pour ce qu’il est désormais convenu d’appeler la plateforme de Bakel-Kayes , ici aussi, on a réussi, non seulement de donner à la recherche, les moyens supplémentaires de valider ses hypothèses de travail, mais aussi de soulever d'autres questions, à la fois conceptuelles et méthodologiques d'envergure qui touchent aux aspects les plus complexes d'un environnement en mutation rapide.

 Deux documents, des glossaires conçus dans les langues locales les plus parlées dans la zone d’intervention du projet (soninké et bambara) ont été élaborés tout au début du processus qui décrivent les mutations qui ont affecté l'environnement dans les zones de Bakel au Sénégal et Kayes au Mali et leurs conséquences sur les principales activités de production agricole. Ils dressent l’état des lieux des changements climatiques tels qu’il est perçu et exprimé dans les langues des populations en présence. Ces glossaires révèlent surtout que les communautés ont une perception claire et précise des changements climatiques.
 La mémoire écologique  de toute une communauté a été mise en images et donc consignée dans un film documentaire dont le titre lui même est une réitération de la parole collective : « Nous cultivons là où nous péchions ».
   Au terme du processus, ces populations ont été en mesure, d'identifier et d'adopter des stratégies d’adaptation permettant de répondre aux impacts des changements climatiques. En outre, ils ont vu leur niveau de connaissances techniques amélioré de manière significative, de même que leurs capacités de collaboration avec d'autres organisations, à travers des échanges d'informations. Ils   parviendront enfin à faire entendre leur voix dans les forums politiques.

  Il s’agit là assurément d’une expérience  à capitaliser et que l’on gagnerait à créditer à la « banque des connaissances » Exactement comme s’il s’agit d’un travail d’archéologie des savoirs endogènes qui, en Afrique, peuvent épouser différentes formes. Et notamment celles de cosmogonies écologistes (la Charte de Kurukan Fugan plus connue sous le nom de Protocole du Mandé, la Diina de  Ahmadou Cheikhou Oumar Foutiyou Tall entre autres). Lesquelles structurent ainsi des dispositifs cohérents de gestion responsable de l’espace et des ressources en dehors de toute occurrence de conflits et qui ont permis aux communautés de s’adapter aux aléas.

  Il apparait alors plus impérieux que jamais de tenir compte des liens entre« les dynamiques endogènes d’adaptation et de développement » come le notait fort justement le Dr Jean  Philippe Thomas ancien  patron de programme Energie environnement développement de Enda pour qui : «  La manière dont aborde ici d’adaptation est porteuse d’une nouvelle architecture de gouvernance et de régulation portée par le changement impulsé par les populations, leurs innovations et leurs modes de coopération». Ce qui le conduit à conclure sur la nécessité de faire en sorte que : «  toutes les actions menées  en appui aux populations, et qui ont leur propre logique d’organisation, puissent permettre d’apporter des éléments de réponses à des questions centrales comme celles des « nouvelles régulations à l’échelle micro-économique et sociale » Ou encore « de nouveaux modes de répartition des richesses plus équitables et débarrassés des modes de redistribution actuelle par les projets et l’aide publique au développement ».

Moustapha SÈNE



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