Dans cette
région naturelle du Guidimakha, terroir d’histoires plurielles et zone de
confluence sur l’axe Bakel-Kayes, à cheval sur les trois pays que sont le Mali,
la Mauritanie et le Sénégal, les experts développeurs vont à l'école... des
populations locales. On pourrait, en effet, parler ici, sans tomber dans la
simple clause de style, de leçons de pragmatisme des savoirs et modèles locaux
d'adaptation tellement est manifeste l’intérêt que présente au plan heuristique
et de la recherche-action la région appelée aussi le « Gadiaga - Boundou ».
Du fait de la crise écologique multiforme
consécutive aux impacts de la variabilité climatique sur l’environnement qui y
sévit, l’intérêt pour cette zone, des chercheurs travaillant sur les
changements climatiques, est d’autant plus prégnant encore que les populations qui
y vivent et qui sont affectées par cette crise s'investissent, en vue de
s'adapter et de développer des stratégies propres leur permettant de faire
face.Des
récits de vie du genre et des expériences cognitives de collectivités comme
celles de Guidimakha qui en renseignent sur les ataviques leçons de vie de
sociétés et des cultures venues des antipodes, il en a beaucoup été question à
Montreuil depuis le démarrage du Sommet citoyen mondial sur le climat ,vendredi
dernier, le jour même où les experts et
négociateurs des Etats parties remettaient leur projet de texte aux ministres
de leurs pays respectifs qui ont pris le relai, depuis lundi, des négociations
internationales qui se tiennent au Bourget.
Capitale du monde des idées alternatives sur
la question du climat et des innovations les plus originales qui visent à
donner à l’humanité déshéritée les moyens de faire face aux conséquences des
dérèglements qu’engendrent la crise climatique, la ville cosmopolite de
Montreuil, a été et sera encore le temps que les rideaux tombent sur la
Conférence des nations unies sur le climat de
Paris, l’épicentre d’expériences plurielles et aussi riches portées par
des représentants de communautés diverses venues des quatre coins du globe.
Avec ces
milliers de militants altermondialistes et autres acteurs de la société civile
internationale qui s’y sont donnés rendez-vous depuis le début du weekend end
dernier, Montreuil, ville française la
plus africaine à la lisière du Paris intra-muros est devenue le village des
alternatives le temps de la COP 21. Pour cette raison et pour d’autres
Montreuil est et sera encore là tant qu’on parlera de climat là comme pour nous
rappeler qu’il est une leçon qu’au-delà de l’effervescence
bigarrée des échanges et manifestations nombreuses on pourrait apprendre du volontarisme
ayant marqué les multiples mobilisations des mouvements altermondialiste. Cette
leçon c'est celle-là : Il y a,
comme pour mieux faire à cette urgence née des problèmes du changement climatique
de ne plus continuer à regarder de haut ces communautés. Mais encore et surtout de cesser donc de considérer avec une
suspecte condescendance les capacités intrinsèques des communautés défavorisées
du globe à s’adapter aux aléas du dérèglement climatique.
En plus d’avoir administré la preuve qu’il est
possible de créer autrement les
conditions d'une appropriation collective plus ample et plus responsable de la
problématique "Climat",
Montreuil aura aussi réussi à montrer que
c’est faire œuvre de salubrité publique que de communiquer sur une
expérience probante qui, dans son domaine, fait surtout recette. Mais,
Montreuil aura surtout montré qu’apprendre de l’archéologie des savoirs endogènes sur le climat l’est davantage encore dans le contexte de nos
pays africains . Lesquels sont des pays caractérisés, comme le montrent bien
les études réalisées sur cette région du globe par le Groupe
intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC-IPPC), par leur
extrême vulnérabilité économique et social. Mais également des pays aussi qui
assistent chaque jour, eu égard à leur très faible capacité d'adaptation aux
impacts négatifs des changements climatiques, à l'accroissement de leur
vulnérabilité environnementale, du fait combiné des effets néfastes de ces
impacts à d'autres liés à la désertification, à l'appauvrissement des sols, ou
encore à la perte de la biodiversité.
Dans cette zone Guidimakha
et du fait de la raréfaction des pluies, la plupart des sols, qui jadis
cultivables, ne sont plus aptes aux cultures. “Nous cultivons dans les endroits
où jadis nous pêchions”, disent les paysans eux-mêmes. Exposés à la
vulnérabilité et à l’insécurité alimentaire, ils ne restent pas cependant sans
apporter une réponse aux affres des changements du climat.
Cette zone du Guidimakha des origines dont
les filles et fils sont nombreux à avoir, depuis des lustres , élu domicile à
Montreuil est en passe de devenir un véritable laboratoire d'expériences
innovantes.
Un peu comme pour ce qui est fait dans les collectivités locales de
Notto Diobass, Fandène et Taiba Ndiaye
dans la région de Thiès par l’ancien projet Infoclim
du Centre de suivi écologique (Cse) du Sénégal
qui, dans un contexte marqué par des perturbations climatiques, a
cherché à mettre en place un observatoire sur les changements climatiques sous
forme de plateforme participative intégrant l’information scientifique et les
savoirs locaux pour soutenir les capacités locales d’adaptation aux changements
climatiques des populations. Des
expériences pilotes ont, en effet, de
part et d’autre été conduites sous l'égide de deux grands projets initiés par
l’Ong Lead Africa qui accompagne les
communautés dans cette quête de réponses appropriées aux effets des changements
du climat.
Comme pour ce qu’il est désormais convenu d’appeler la plateforme
de Bakel-Kayes , ici aussi, on a réussi, non seulement de donner à la recherche,
les moyens supplémentaires de valider ses hypothèses de travail, mais aussi de
soulever d'autres questions, à la fois conceptuelles et méthodologiques
d'envergure qui touchent aux aspects les plus complexes d'un environnement en
mutation rapide.
Deux documents, des
glossaires conçus dans les langues locales les plus parlées dans la zone
d’intervention du projet (soninké et bambara) ont été élaborés tout au début du
processus qui décrivent les mutations
qui ont affecté l'environnement dans les zones de Bakel au Sénégal et Kayes au
Mali et leurs conséquences sur les principales activités de production
agricole. Ils dressent l’état des lieux des changements climatiques tels qu’il
est perçu et exprimé dans les langues des populations en présence. Ces glossaires
révèlent surtout que les communautés ont une
perception claire et précise des changements climatiques.
La mémoire écologique de toute une communauté a été mise en images
et donc consignée dans un film documentaire dont le titre lui même est une réitération
de la parole collective : « Nous cultivons là où nous
péchions ».
Au terme du processus, ces populations ont
été en mesure, d'identifier et d'adopter des stratégies d’adaptation permettant
de répondre aux impacts des changements climatiques. En outre, ils ont vu leur
niveau de connaissances techniques amélioré de manière significative, de même
que leurs capacités de collaboration avec d'autres organisations, à travers des
échanges d'informations. Ils
parviendront enfin à faire entendre leur voix dans les forums
politiques.
Il s’agit là assurément d’une expérience à capitaliser et que l’on gagnerait à
créditer à la « banque des connaissances » Exactement comme s’il
s’agit d’un travail d’archéologie des savoirs endogènes qui, en Afrique,
peuvent épouser différentes formes. Et notamment celles de cosmogonies
écologistes (la Charte de Kurukan Fugan
plus connue sous le nom de Protocole du Mandé, la Diina de Ahmadou Cheikhou
Oumar Foutiyou Tall entre autres). Lesquelles structurent ainsi des dispositifs
cohérents de gestion responsable de l’espace et des ressources en dehors de
toute occurrence de conflits et qui ont permis aux communautés de s’adapter aux
aléas.
Il
apparait alors plus impérieux que jamais de tenir compte des liens entre« les
dynamiques endogènes d’adaptation et de développement » come le notait
fort justement le Dr Jean Philippe
Thomas ancien patron de programme
Energie environnement développement de Enda pour qui : « La manière dont
aborde ici d’adaptation est porteuse d’une nouvelle architecture de gouvernance
et de régulation portée par le changement impulsé par les populations, leurs
innovations et leurs modes de coopération». Ce qui le conduit à conclure sur la
nécessité de faire en sorte que : « toutes les actions menées en appui aux populations, et qui ont leur
propre logique d’organisation, puissent permettre d’apporter des éléments de réponses
à des questions centrales comme celles des « nouvelles régulations à
l’échelle micro-économique et sociale » Ou encore « de nouveaux modes
de répartition des richesses plus équitables et débarrassés des modes de
redistribution actuelle par les projets et l’aide publique au
développement ».
Moustapha SÈNE
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