Pour
faire face aux effets du changement climatique, la Côte d’Ivoire s’est lancée
dans la production du bio-charbon. L’objectif est d’exploiter l’énorme
potentiel de biomasse et juguler la déforestation qui menace le pays. Mais cet
ambitieux projet, qui veut promouvoir la transition énergétique et une économie
verte, se heurte à un sérieux obstacle : le financement.
Cette association communautaire, créée en
juillet 2011, regroupe des paysans de cette petite sous-préfecture située à 150
Km d’Abidjan. Elle développe depuis novembre 2013… le bio-charbon, baptisé
‘’AfferyMboby’’. Un foyer amélioré adapté à ce type de charbon a été également
conçu. Il porte le nom ‘’Ndabo’’, une roche mythique qui évoque l’identité culturelle
de cette localité. Ceux qui ont utilisé ce charbon et le fourneau associé
témoignent : « Le bio-charbon est plus rapide. Le fourneau est très
chaud quand on prépare avec », explique Hortense Adon Apo, assise au
milieu des marmites et casseroles, cet après-midi. Cette restauratrice ne tarit
pas d’éloges devant ce nouveau charbon : il dégage moins de fumée, donc ne
noircit pas les marmites. Alors qu’auparavant, il lui fallait 500 FCfa de
charbon de bois pour faire cuire un repas,
elle en a désormais pour 200 à 300 FCfa de bio-charbon. Déjà conquise,
elle recommande qu’on lui confectionne un fourneau plus grand. Sopie Camille
Fofana, ménagère, n’a pas encore utilisé le bio-charbon – c’est seulement ce
jour qu’une quantité d’un Kg vient de lui être livrée. Le fourneau amélioré,
si. « Je l’ai utilisé mais avec le charbon ordinaire. Ça chauffe
beaucoup comme si on avait allumé le gaz pour préparer ». Si la cuisson
est rapide, le charbon brûle aussi vite.
En Côte d’Ivoire, le bio-charbon est une
innovation. Coné Gaoussou est le chef de ce projet. C’est la ‘’vision’’ de sa
mère, Jeanne Kobon Yaba, 73 ans. Un matin de novembre 2013, elle voit un
reportage à la télévision sur le bio-charbon. Elle souhaite le développer en
Côte d’Ivoire. Son fils adhère aussitôt à cette initiative. Mais sans
expérience ni expertise véritable, l’association, dont la plus part des membres
sont des planteurs et paysans, peine à réaliser son projet. Juste quelques
recherches sur Internet. Résultats : les premières expériences sont
catastrophiques. « On ne s’est pas découragé. On a continué les recherches
jusqu’à ce qu’on ait quelque chose qui
dégageait beaucoup de fumée mais avec lequel on a préparé du riz. C’est vrai
que ce n’était pas comme on le souhaitait. Mais ce jour, on était très
content », se souvient-il. Au quatrième test en effet, les 203 kg de
déchets ont produit 75 kg après la carbonisation. La méthode est trouvée depuis
avril 2014. Un exploit. Mais le processus de production du bio-charbon est
encore très artisanal. D’abord, une quantité de coques de riz par exemple est
carbonisée dans un réacteur de pyrolyse (un grand four) hermétiquement fermé.
Cela dure entre un et deux jours. On ajoute un liant (matière qui permet
d’avoir un produit compact) au combustible obtenu. Cette mixture est passée
dans une presse à retord manuel. Le résultat pâteux, qui sort progressivement,
est modelé à la main en plusieurs boulettes. Celles-ci sont disposées dans des
bacs et étalées au soleil. Une fois séché : on a le bio-charbon.
Lutter contre le changement climatique
Ce
projet parait banal. Mais il pourrait être révolutionnaire. A Affery, le
constat est frappant. Les populations prélèvent le bois vert dans les forêts.
Tronçonné et séché, il sert ensuite pour la cuisson. Devant la plupart des habitations,
de grands stocks de bois de chauffe sont accumulés. Pour le Dr Jules Afferi,
enseignant-chercheur à l’Institut de recherches sur les énergies nouvelles
(Iren) de l’Université de Nangui-Abrogoua, à Abidjan, la production du bio-charbon
va réduire la disparition des forêts et préserver la biodiversité. Ce qui
permet de lutter contre le changement climatique. « En produisant le bio-charbon,
qui va remplacer partiellement le charbon de bois et le bois de chauffe, on
lutte contre la déforestation d’abord. La déforestation est à l’origine des
émissions de CO2 [dioxyde de carbone] dans l’atmosphère (…) Ce qui est
intéressant, en utilisant la biomasse pour produire du bio-charbon, on valorise
les déchets. Parce que lorsque nous laissons la biomasse se décomposer, il
dégage le méthane qui est un gaz à effet de serre 25 fois plus dangereux que le
CO2. Donc on résout encore ce problème d’émission de méthane dans
l’atmosphère », explique ce bio-électricien.
En 2012, les émissions étaient
estimées à 15 964,35
kilotonnes CO2, la
foresterie n’étant pas incluse dans les projections. Et ce projet pourrait
contribuer à maitriser la quantité de gaz à effet de serre libérée. En effet,
une étude de l’Institut européen des forêts (EFI), publié en décembre 2013,
souligne que si la Côte d’Ivoire met en œuvre des actions visant à protéger les
forêts et lutter contre les changements climatiques, le pays pourra conserver,
sur la période 2015-2030, 160 000 hectares pour le bois de feu (et charbon) et éviter l’émission dans l’atmosphère de
16,4 millions de tonnes de CO2 équivalents. Les plus-values pour les
producteurs ainsi que la valorisation associée au crédit carbone économisé se
chiffrent à 62 milliards pour le bois de feu. Les gains sont substantiels.
En
plus, le rythme actuel de déforestation est inquiétant : la Côte d’Ivoire
perd entre 150 000 et 200 000 hectares de forêts par an. Son couvert
forestier est passé de 16 millions d’hectares en 1960 à moins 2 millions
aujourd’hui. « Il faut faire quelque chose », s’alarme le Dr
Abouattier Levry, de l’IREN.
Dans un contexte de raréfaction des ressources
naturelles, le concept de bio-charbon apparait donc comme une opportunité pour
la gestion durable des forêts. « Les secteurs
agriculture et forêt participent à eux seuls à 25% des émissions de gaz
à effet de serre (GES). Par ailleurs, la Côte d’Ivoire, pays forestier dont
l’économie est tributaire de l’agriculture, doit assurer une transition vers
des solutions à faible impact écologique dans le cadre de son énergie domestique,
essentiellement dominée par le bois
énergie et le charbon de bois, très consommateurs de ligneux [produit issue du
bois ou de sa transformation]. Cette transition vers cette énergie renouvelable
pourrait garantir une gestion durable des forêts qui contribuent, par leur
effet de régulation du microclimat, à favoriser les activités agricoles »,
observe Edouard Kessé Brou Ané, du Programme national changement climatique.
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