mardi 24 novembre 2015

Côte d’Ivoire : Réduction des gaz à effet de serre, Du bio-charbon pour lutter contre le changement climatique

Pour faire face aux effets du changement climatique, la Côte d’Ivoire s’est lancée dans la production du bio-charbon. L’objectif est d’exploiter l’énorme potentiel de biomasse et juguler la déforestation qui menace le pays. Mais cet ambitieux projet, qui veut promouvoir la transition énergétique et une économie verte, se heurte à un sérieux obstacle : le financement
 Marceline Kra dépose un fourneau, y met du charbon, allume le feu et pose une marmite. Au bout de plusieurs minutes, le riz assaisonné est prêt. « Zéro déforestation pour la cuisson, c’est possible », se félicite Coné Gaoussou, assis à proximité. Ce 20 octobre, devant le siège de l’Association des propriétaires de forêts naturelles et plantations d’Affery (APFNP-AFF) dont il le secrétaire général, il est entouré de quelques membres.
Cette association communautaire, créée en juillet 2011, regroupe des paysans de cette petite sous-préfecture située à 150 Km d’Abidjan. Elle développe depuis novembre 2013… le bio-charbon, baptisé ‘’AfferyMboby’’. Un foyer amélioré adapté à ce type de charbon a été également conçu. Il porte le nom ‘’Ndabo’’, une roche mythique qui évoque l’identité culturelle de cette localité. Ceux qui ont utilisé ce charbon et le fourneau associé témoignent : « Le bio-charbon est plus rapide. Le fourneau est très chaud quand on prépare avec », explique Hortense Adon Apo, assise au milieu des marmites et casseroles, cet après-midi. Cette restauratrice ne tarit pas d’éloges devant ce nouveau charbon : il dégage moins de fumée, donc ne noircit pas les marmites. Alors qu’auparavant, il lui fallait 500 FCfa de charbon de bois pour faire cuire un repas,  elle en a désormais pour 200 à 300 FCfa de bio-charbon. Déjà conquise, elle recommande qu’on lui confectionne un fourneau plus grand. Sopie Camille Fofana, ménagère, n’a pas encore utilisé le bio-charbon – c’est seulement ce jour qu’une quantité d’un Kg vient de lui être livrée. Le fourneau amélioré, si.  « Je l’ai utilisé mais avec le charbon ordinaire. Ça chauffe beaucoup comme si on avait allumé le gaz pour préparer ». Si la cuisson est rapide, le charbon brûle aussi vite.
En Côte d’Ivoire, le bio-charbon est une innovation. Coné Gaoussou est le chef de ce projet. C’est la ‘’vision’’ de sa mère, Jeanne Kobon Yaba, 73 ans. Un matin de novembre 2013, elle voit un reportage à la télévision sur le bio-charbon. Elle souhaite le développer en Côte d’Ivoire. Son fils adhère aussitôt à cette initiative. Mais sans expérience ni expertise véritable, l’association, dont la plus part des membres sont des planteurs et paysans, peine à réaliser son projet. Juste quelques recherches sur Internet. Résultats : les premières expériences sont catastrophiques. « On ne s’est pas découragé. On a continué les recherches jusqu’à ce qu’on ait  quelque chose qui dégageait beaucoup de fumée mais avec lequel on a préparé du riz. C’est vrai que ce n’était pas comme on le souhaitait. Mais ce jour, on était très content », se souvient-il. Au quatrième test en effet, les 203 kg de déchets ont produit 75 kg après la carbonisation. La méthode est trouvée depuis avril 2014. Un exploit. Mais le processus de production du bio-charbon est encore très artisanal. D’abord, une quantité de coques de riz par exemple est carbonisée dans un réacteur de pyrolyse (un grand four) hermétiquement fermé. Cela dure entre un et deux jours. On ajoute un liant (matière qui permet d’avoir un produit compact) au combustible obtenu. Cette mixture est passée dans une presse à retord manuel. Le résultat pâteux, qui sort progressivement, est modelé à la main en plusieurs boulettes. Celles-ci sont disposées dans des bacs et étalées au soleil. Une fois séché : on a le bio-charbon.

Lutter contre le changement climatique
Ce projet parait banal. Mais il pourrait être révolutionnaire. A Affery, le constat est frappant. Les populations prélèvent le bois vert dans les forêts. Tronçonné et séché, il sert ensuite pour la cuisson. Devant la plupart des habitations, de grands stocks de bois de chauffe sont accumulés. Pour le Dr Jules Afferi, enseignant-chercheur à l’Institut de recherches sur les énergies nouvelles (Iren) de l’Université de Nangui-Abrogoua, à Abidjan, la production du bio-charbon va réduire la disparition des forêts et préserver la biodiversité. Ce qui permet de lutter contre le changement climatique. « En produisant le bio-charbon, qui va remplacer partiellement le charbon de bois et le bois de chauffe, on lutte contre la déforestation d’abord. La déforestation est à l’origine des émissions de CO2 [dioxyde de carbone] dans l’atmosphère (…) Ce qui est intéressant, en utilisant la biomasse pour produire du bio-charbon, on valorise les déchets. Parce que lorsque nous laissons la biomasse se décomposer, il dégage le méthane qui est un gaz à effet de serre 25 fois plus dangereux que le CO2. Donc on résout encore ce problème d’émission de méthane dans l’atmosphère », explique ce bio-électricien.
En 2012, les émissions étaient estimées à 15 964,35 kilotonnes CO2, la foresterie n’étant pas incluse dans les projections. Et ce projet pourrait contribuer à maitriser la quantité de gaz à effet de serre libérée. En effet, une étude de l’Institut européen des forêts (EFI), publié en décembre 2013, souligne que si la Côte d’Ivoire met en œuvre des actions visant à protéger les forêts et lutter contre les changements climatiques, le pays pourra conserver, sur la période 2015-2030, 160 000 hectares pour le bois de feu (et charbon)  et éviter l’émission dans l’atmosphère de 16,4 millions de tonnes de CO2 équivalents. Les plus-values pour les producteurs ainsi que la valorisation associée au crédit carbone économisé se chiffrent à 62 milliards pour le bois de feu. Les gains sont substantiels.
En plus, le rythme actuel de déforestation est inquiétant : la Côte d’Ivoire perd entre 150 000 et 200 000 hectares de forêts par an. Son couvert forestier est passé de 16 millions d’hectares en 1960 à moins 2 millions aujourd’hui. « Il faut faire quelque chose », s’alarme le Dr Abouattier Levry, de l’IREN.

 Dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles, le concept de bio-charbon apparait donc comme une opportunité pour la gestion durable des forêts. « Les secteurs  agriculture et forêt participent à eux seuls à 25% des émissions de gaz à effet de serre (GES). Par ailleurs, la Côte d’Ivoire, pays forestier dont l’économie est tributaire de l’agriculture, doit assurer une transition vers des solutions à faible impact écologique dans le cadre de son énergie domestique, essentiellement dominée  par le bois énergie et le charbon de bois, très consommateurs de ligneux [produit issue du bois ou de sa transformation]. Cette transition vers cette énergie renouvelable pourrait garantir une gestion durable des forêts qui contribuent, par leur effet de régulation du microclimat, à favoriser les activités agricoles », observe Edouard Kessé Brou Ané, du Programme national changement climatique. 

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