mardi 24 novembre 2015

Côte d'Ivoire veut lutter contre le changement climatique


Ce projet parait banal. Mais il pourrait être révolutionnaire. A Affery, le constat est frappant. Les populations prélèvent le bois vert dans les forêts. Tronçonné et séché, il sert ensuite pour la cuisson. Devant la plupart des habitations, de grands stocks de bois de chauffe sont accumulés. Pour le Dr Jules Afferi, chercheur à l’Institut de recherches sur les énergies nouvelles (Iren) de l’Université de Nangui-Abrogoua, à Abidjan, la production du bio-charbon va réduire la disparition des forêts et préserver la biodiversité. Ce qui permet de lutter contre le changement climatique. 

« En produisant le bio-charbon, qui va remplacer partiellement le charbon de bois et le bois de chauffe, on lutte contre la déforestation d’abord. La déforestation est à l’origine des émissions de CO2 [dioxyde de carbone] dans l’atmosphère (…) Ce qui est intéressant, en utilisant la biomasse pour produire du bio-charbon, on valorise les déchets. Parce que lorsque nous laissons la biomasse se décomposer, il dégage le méthane qui est un gaz à effet de serre 25 fois plus dangereux que le CO2. Donc on résout encore ce problème d’émission de méthane dans l’atmosphère », explique ce bio-électricien. 
En 2012, les émissions étaient estimées à 15 964,35 kilotonnes CO2, la foresterie n’étant pas incluse dans les projections. Et ce projet pourrait contribuer à maîtriser la quantité de gaz à effet de serre libérée. En effet, une étude de l’Institut européen des forêts (EFI), publié en décembre 2013, souligne que si la Côte d’Ivoire met en œuvre des actions visant à protéger les forêts et lutter contre les changements climatiques, le pays pourra conserver, sur la période 2015-2030, 160 000 hectares pour le bois de feu (et charbon)  et éviter l’émission dans l’atmosphère de 16,4 millions de tonnes de CO2 équivalents. Les plus-values pour les producteurs ainsi que la valorisation associée au crédit carbone économisé se chiffrent à 62 milliards pour le bois de feu. Les gains sont substantiels.
En plus, le rythme actuel de déforestation est inquiétant : la Côte d’Ivoire perd entre 150 000 et 200 000 hectares de forêts par an. Son couvert forestier est passé de 16 millions d’hectares en 1960 à moins 2 millions aujourd’hui. « Il faut faire quelque chose », s’alarme le Dr Abouattier Levry, de l’IREN. 
 Dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles, le concept de bio-charbon apparait donc comme une opportunité pour la gestion durable des forêts. « Les secteurs  agriculture et forêt participent à eux seuls à 25% des émissions de gaz à effet de serre (GES). Par ailleurs, la Côte d’Ivoire, pays forestier dont l’économie est tributaire de l’agriculture, doit assurer une transition vers des solutions à faible impact écologique dans le cadre de son énergie domestique, essentiellement dominée  par le bois énergie et le charbon de bois, très consommateurs de ligneux [produit issue du bois ou de sa transformation]. Cette transition vers cette énergie renouvelable pourrait garantir une gestion durable des forêts qui contribuent, par leur effet de régulation du microclimat, à favoriser les activités agricoles », observe Edouard Kessé Brou Ané, du Programme national changement climatique. 

Manque de financements pour moderniser la production

La production artisanale du bio-charbon est de 100 Kg par jour. Elle pourrait atteindre une tonne si le processus se modernise. On estime pourtant la consommation totale de bois énergie (bois de feu et charbon de bois) à plus de 15,6 millions tonnes par an dans le pays. Il faut penser à étendre le projet à l’échelle nationale afin de couvrir les besoins. « Imaginez-vous chez le boutiquier, dans les rayons, il y du bio-charbon ? A l’échelle industrielle, c’est l’objectif qu’on vise », déclare Coné Gaoussou. 
L’Institut de recherches sur les énergies nouvelles travaille sur la modernisation du matériel de production (le réacteur de pyrolyse et la presse à retord). Et aussi sur l’amélioration du pouvoir calorifique du bio-charbon : il ne brûle pas entièrement et laisse trop de déchets après la cuisson. Dans cette université où une partie de l’hôpital est alimentée depuis six mois à l’énergie solaire, l’expertise existe : du biogaz a été produit entre 2003 et 2006, dans le cadre d’un projet de renforcement des capacités sur le mécanisme pour un développement propre (MDP). Mais, il y a un manque de financements pour mener des études plus poussées, notamment sur les caractéristiques des matières premières. En tout cas, le potentiel est immense. La Côte d’Ivoire produit annuellement 12 millions de tonnes de biomasse issues des déchets ménagers, agricoles et forestiers. Outre le charbon, elle peut les valoriser pour produire d’autres types d’énergie comme le gaz, le carburant, l’électricité… 
Cette association communautaire espère bénéficier d’un appui dans le cadre de la phase pilote Redd+ qui devrait démarrer début 2016 afin de vulgariser le nouveau type de charbon et le fourneau associé. Avant sa mise en œuvre à l’échelle nationale, ce mécanisme vise à poser les bases d’une économie verte au niveau local, en conciliant la réduction de la pression sur les ressources naturelles et le développement rural, la cacaoculture en tête. Les projets vont du découplage agriculture-déforestation à la promotion de l’énergie domestique durable, la gestion durable des forêts et le reboisement. « L’objectif est de mesurer les impacts du projet et appuyer le processus national Redd+, notamment en termes de mobilisation des financements nécessaires au changement d’échelle et au déploiement d’une approche juridictionnelle. Les activités concerneront l’impact climatique, socio-économique et environnemental ainsi que la recherche-action », souligne Edouard Kessé Brou Ané. 


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